• Michel, le foin, la vache et la dette

     

    En 1748, Michel poursuivait son frère Jean pour se faire rembourser plusieurs dettes. Quelques années plus tard, Michel, à son tour, est traqué par ses créanciers.

    MICHEL PARET, LE FOIN ET LA VACHE

     

    Le 14 mars 1750, Michel et sa femme Marie Lymonne reçoivent un exploit de commandement (ordre de payer, remis par un huissier), à la requête de Jean Trouiller, un laboureur de Gourgolin, un hameau de l'Ardèche, proche des Andrivaux. Sur cet acte, on retrouve le sergent Borin (je l'ai malencontreusement renommé Bovin dans l'article précédent) qui remet l' exploit au domicile de Michel et Marie, et Jeury qui est alors le procureur de Trouiller. Ce dernier réclame 36 quintaux de foin, pour arrérage de la pension annuelle de 12 quintaux « au capital de la somme de 250 livres ».

    Il semble que les Paret aient acheté à Trouiller un pré d'une valeur de 250 livres et se soient engagés à rembourser cette somme en nature. Le contrat avait été signé le 26 juin 1746, et depuis, les Paret n'ont pas livré la moindre petite botte de foin. Suivent des menaces assez touffues : saisie de biens, assignation à comparaitre dans les 3 jours devant les officiers de la ville «  aux fins de s'y voir condamner » et, à défaut de paiement en foin ou argent, les Trouiller récupéreront le pré.

    MICHEL PARET, LE FOIN ET LA VACHE

     

    MICHEL PARET, LE FOIN ET LA VACHE

     

    Les archives ne nous éclairent pas sur la suite de cette histoire, et nous ne retrouvons Michel Paret qu' en 1754 et 1755 où deux affaires surgissent simultanément...

     

     LA DETTE

    Le 27 juin 1754, le sergent Jean Cheze délivre une assignation à Michel. C'est une requête de Jean Charroin, laboureur à Doizieu, à une vingtaine de km des Andrivaux. Son procureur est Jean Pierre Coppin. Charroin rappelle que Michel Paret lui a emprunté 120 livres, qu' il avait promis de payer le 10 septembre 1746. Comme les promesses n'engagent que ceux qui les croient, 8 ans après, la somme est toujours due.

     

    Un acte de Coppin du 15 mai 1755 résume les faits passés. Il demande en vain à Michel de reconnaître ou non la dette, Michel fait la sourde oreille, ne se rend pas aux convocations :

    MICHEL PARET, LE FOIN , LA VACHE ET LA DETTE

    le cinquième septembre suivant ledit Paret voyant qu'on entrait dans les feriés des vendanges pour avoir du temps cest mal recompenser celuy qui lui avait rendu service 

    Puis, Michel se fait représenter par le procureur Jeury auquel Coppin envoie 4 sommations :

    MICHEL PARET, LE FOIN , LA VACHE ET LA DETTE

    Quatre sommations à plaider sur lesquelles sont intervenues

    quatre ordonances et notamment une le vingt quatrieme

    avril dernier portant qu'a defaut par les paret d avoir reconnu

    la promesse elle etait tenu pour reconnue en justice et qu'au

    principal les parties en viendraient a la premiere cour …

    Ledit Coppin somme ordonant ledit Mr Jeury de se tenir prêt

    a plaider jeudi prochain sur ce qu il requerera la condamnation

    de la somme de cent vingt livres avec interets le depand

    a ce qu il n en ignore …

     

    LA VACHE

    Simultanément, Coppin est aussi le procureur de Pierre Limossier, laboureur à Mizerieux, près de St Julien Molin Molette . Les « deffendeurs » sont le tendem bien connu maintenant, Michel Paret et Jeury. Limossier a vendu une vache à Paret, et n'a jamais été payé. La vente remonte à une huitaine d'années... en même temps que l'affaire du pré, et de l' emprunt de 120 livres. Michel Paret et Marie Lymonne sont alors jeunes mariés, pas très riches, alors ils achètent à crédit le pré, la vache … et la vache a surement mangé sans état d' âme le foin de la pension de Trouiller.

    Coppin reprend parfois les mêmes expressions pour les deux affaires en cours.

    Quatre ordonnances ont été envoyées , trois sont dans les archives :

    Le 23 février 1755 , Coppin demande à M. Jeury de se tenir prêt a plaider en 1ère audience.

    Le 5 mars, le ton est plus ferme : Coppin demande à M. Jeury de plaider en 1ère audiance.

    Le 6 avril, Coppin se fâche : il somme M. Jeury de plaider en 1ère audiance.

     

    Ensuite, on trouve un document qui est surement la plaidoirie de Coppin: il est un peu long, mais certains passages sont plutôt cocasses. Il est traduit tel que j'ai pu le défricher ou déchiffrer, j'ai juste rajouté un peu de ponctuation

    MICHEL PARET, LE FOIN , LA VACHE ET LA DETTE

    Coppin, procureur de pierre Limossier laboureur du lieu de Mizerieu

    paroisse de Colombier, demandeur, deliberant aux ecritures recues

    de la part de Michel paret vigneron du lieu des andrivaux,

    paroisse de Maclas, Defendeur, le 18 avril dernier par devant

    vous Messieurs les officiers de la juridiction ordinaire de

    la Baronnie de Maclas, Dit

    que l'on a jamais vu ecritures si calomnieuses et comiques

    que celles auxquelles on repond. il y a environ huit ans

    que le demandeur vendait une vache au deffendeur, son cousin,

    au prix de 44 livres dont il lui fit credit pour

    le tirer de misere avec sa famille laquelle il promit neammoins

    lui payer quelque temps apres.

    Le demandeur a attendu charitablement le payement mais

    voyant qu'il ne venait point et que le deffendeur n'en tenait

    presque pas compte, l'amusait toujours de paroles sans

    execution, il fut obligé de le faire assigner devant vous par exploit

    de Cheze ...du 27 juin dernier disant condamner au payement

    de la somme de 44 livres avec interet et depuis,

    sur cette assignation ,il obtint defaut le huitieme juillet suivant

    le profit duquel voulant faire adjurer la longueur en septembre

    ledit paret voyant qu'on etait dans les feries des vendanges

    pour avoir du temps et mal recompenser celui qui lui avait rendu

    service. Dans son bon besoin prit le parti de se presenter

    par le Ministere de M Jeury auquel il fut donner acte de la presentation

    et ordonne qu'il defendrait dans trois jours. il lui a du depuis

    ete fait quatre sommations à plaider sur lesquelles sont

    intervenues plusieurs ordonnnances et voyant qu'il ne pouvait

    plus reculer il a fait communiquer ces belles ecritures que l'on

    doit serieusement envisager comme un chef d'oeuvre

    Il dit d'abord par … qu'il convient avoir acheté la vache

    dudit Limonier et luy la devoir ce qu'on accepte en

    tant que de besoin mais que le prix n'est pas de 44

    livres ...mais seulement de

    42 livres ... il veut ajouter 40

    sols pour interet et pour cela, le traitre d'homme de mauvaise

    foy , d'usurpateur ,et qu'il doit subir la peine qu'il merite

    On lui demande quelle peine merite une personne qui demande

    ce qui lui est du par la voye de la justice a une autre qui luy

    doit, lequel a charitablement attendu longtemps. il sera obligé

    de repondre qu'il n'en connait aucune et qu'elle merite plutot

    satisfaction, on lui doit bien quelque chose sur des calomnies

    mais comme parlant contre ses parents c'est cracher en l'air

    pour le faire retomber sur le nez. Le demandeur agira plus

    prudemment.

    Le deffenseur dit encore que quelque temps apres la livraison

    de la vache il donna au demandeur la quantite de 95

    livres chanvre taillé au prix de 5 sols et 20 deniers

    leur prix entre eux convenu en presence de ... et c'est

    lequel le demandeur luy nie formelement et luy defie de faire preuve

    par gens irreprochables

    MICHEL PARET, LE FOIN , LA VACHE ET LA DETTE

    Enfin le deffendeur tenant le pretendu chanvre comme pour reçu

    le porte a 25 livres 4 sols, 3 deniers tellement qu'il

    ne pretend plus devoir au demandeur que 16 livres 9 deniers qu'il

    offre de luy payer en immeubles suivant l'estimation qui lui sera faite

    par experts , au moyen de quoi il soutiend devoir être renvoyé posterieurement.

    Aux depens. Voila la fin de ses belles ecritures.

    On lui demande quelle sorte d'immeubles il voulait donner pour

    16 livres, 9 deniers et si il peut obliger le demandeur a les

    ou bon luy semblera . Quelle fable de cela parce que

    jamais debiteur n'a fait la loi au creancier. D'ailleurs les formalites

    qu'il faudrait faire lui seraient plus cheres que ce qu'on luy

    demande.

    Le demandeur, homme de probité et de bonne foi et non du caractere

    dont on le traite veut bienconvenir d'avoir dit au deffendeur

    de lui acheter 40 livres de chanvre qu'il luy mit même

    chez Jean Paret son frere meunier au lieu de Loye, paroisse de

    Veranne ou elles resteront assez longtemps, et les ayant prises

    il les voulut plusieurs fois payer au deffendeur pour ne point

    les contregager sur le prix de la vache parce qu'il le savait

    la necessité mais il ne luy en voulut jamais dire le prix pour

    le tenir en plus de lui demander le surplus de celuy de la vache.

    du demandeur que le prix de la vache se

    montait 44 livres et qu'en enlevant sur celuy

    10 livres pour le chanvre a raison de 5 sols

    la livre, prix ordinaire, le deffenseur luy doit encore34

    livres qu'il doit être convenu luy payer aux frais

    et depens et pour le voir aussi prononcer, ledit Coppin somme

    ledit Jeury de se tenir prêt à plaider à la prochaine audiance

    la cause des parties. Dont acte.

    Coppin

    Les deux affaires sont jugées le 15 mai 1755, à Maclas par « Messieurs les officiers de la juridiction ordinaire de la Baronnie de Maclas ».Une suite est trouvée dans les archives pour le procès Limossier (la vache). Le 1er octobre, Michel informe Limossier de sa décision de faire appel du jugement du 15 mai, , et « il constitue pour procureur aubert procureur royal au baillage de Bourg Argental ». Une copie est envoyée par Jeury à Coppin .

    Aucun document concernant le jugement en appel n'est trouvé.

     

    Outre leur valeur sentimentale ces actes sont révélateurs du mode de vie des campagnes sous Louis XV.

    Les prémisses de notre système judiciaire actuel sont posés:                                             -un plaignant ou demandeur, un défendeur, assistés d'un procureur (avocat)               -possibilité de faire appel                                                                                                            -la procédure est aussi longue qu'actuellement.

    Quand au système bancaire, il faudra attendre encore quelques décennies avant que les agences s'implantent dans les villages.  En attendant, nos ancêtres se prêtent de l'argent, et ils sont parfois  créanciers et débiteurs simultanément, ce qui est à l'origine de nombreux procès, vous aurez l'occasion de le constater, fidèles lecteurs de ce blog. 


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :